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La femme qui fit trembler l’histoire… et celle qui l’écrivit
Il y a des voix que l’histoire a failli oublier. Des existences traversées par le tumulte du monde, englouties par le silence du temps. Et puis, il y a ces voix qui, contre toute attente, brisent les chaînes de l’oubli et résonnent à travers les siècles. Sojourner Truth est l’une de ces voix. Mais sans Olive Gilbert, aurait-elle seulement été entendue ?
Une enfance arrachée, un destin forgé dans l’injustice
Elle naît esclave sous le nom d’Isabella Baumfree, probablement en 1797, à Hurley, une ville marquée par l’héritage néerlandais, dans l’État de New York. On l’appelle Belle mais les noms qu’elle porte ne sont jamais les siens : ils changent au gré des ventes et des propriétaires. Elle appartient à une époque où les corps noirs se vendent comme du bétail.
Arrachée à ses parents encore enfant, elle est vendue à plusieurs maîtres, chacun plus cruel que le précédent. Battue, exploitée, trahie, elle ne connaît que l’ombre. Pourtant, au fond de son être, quelque chose résiste. Un feu. Une conviction, encore informulée, que sa vie ne lui appartient pas entièrement, qu’elle a un rôle à jouer dans un monde qui ne lui fait pourtant aucun cadeau.
En 1826, elle ose l’impensable : elle s’enfuit. Elle laisse derrière elle les chaînes et la peur, emportant avec elle ce qu’elle a de plus précieux – sa fille. Deux ans plus tard, l’esclavage est aboli dans l’État de New York, mais la lutte de Sojourner ne fait que commencer.
Elle a trouvé refuge auprès d’un couple de Quakers, les Van Wagenen, qui l’aident à obtenir sa liberté. Elle prend leur nom, devenant Isabella Van Wagenen, en hommage à ceux qui lui ont tendu la main.
Mais son passé ne cesse de la poursuivre.
Une mère face à la loi : première femme noire à gagner un procès contre un homme blanc
Son fils Peter a été vendu illégalement à un planteur de l’Alabama et elle refuse l’inacceptable.
Avec l’aide de ses amis Quakers, elle attaque en justice l’homme qui le détient. En 1828, elle remporte une victoire historique : elle devient la première femme noire à gagner un procès contre un homme blanc pour récupérer la liberté d’un membre de sa famille.
Une victoire qui aurait pu lui suffire, mais elle ne se bat pas seulement pour elle-même.
Devenue Sojourner Truth : le poids des mots, l’arme de la vérité
En 1843, elle change de nom. Elle se rebaptise Sojourner Truth – « Voyageuse de vérité ». Car désormais, elle n’appartient plus à personne, si ce n’est à sa propre cause : réveiller les consciences.
Elle sillonne l’Amérique, prend la parole dans des assemblées d’hommes qui n’ont jamais vu une femme noire oser leur parler d’égal à égal. Elle prêche, elle harangue, elle raconte l’indicible avec une éloquence qui laisse les foules sans voix. Un jour, alors qu’elle assiste à une réunion publique, des voyous armés de bâtons envahissent l’assemblée. Ils rient, sifflent, menacent de mettre le feu. La panique s’empare de la foule. Les organisateurs tentent en vain de les calmer.
Sojourner a d’abord peur, puis elle hésite et avance.
D’une voix forte, elle entonne un hymne glorifiant la résurrection du Christ. L’agitation retombe. Les rires se figent. Les fauteurs de trouble écoutent.
Ils ne sont plus face à une femme qu’ils peuvent intimider. Ils sont face à une force qu’ils ne comprennent pas.
Ils demandent à Sojourner de chanter encore. Elle accepte. Puis elle parle. Peu à peu, le chaos devient conversation, la violence se dissout dans l’écoute.
Elle sait que derrière la colère se cache souvent un besoin de reconnaissance. Et elle sait comment tendre la main là où d’autres ne voient que des poings fermés.
Akron, 1851 : le discours qui défie les puissants
Elle monte sur l’estrade lors d’une convention pour les droits des femmes à Akron, dans l’Ohio et face à une audience sceptique, elle prononce l’un des discours les plus puissants de l’histoire :
« Ain’t I a Woman? » (Ne suis-je pas une femme ?)
Elle fustige les stéréotypes du « sexe faible », démonte la prétendue supériorité des hommes et attaque ceux qui utilisent la Bible pour justifier l’injustice. Elle raconte sa force, sa douleur, son combat. Elle rappelle que les femmes noires portent un double fardeau – celui du racisme et celui du sexisme. Elle défie le regard des puissants et fait trembler les certitudes.
Si elle a soulevé des charges aussi lourdes que les hommes, si elle a vu ses enfants lui être arrachés, si elle a labouré, semé et récolté sans jamais être ménagée… alors en quoi est-elle différente des hommes ? Même le Christ est venu au monde grâce à une femme. Pourquoi, dès lors, ne mériterait-elle pas le même respect ?
Ses mots claquent comme une gifle aux préjugés. Un feu qui consume les certitudes, un cri que plus rien ne peut étouffer.
Ce discours traversera les âges. Et si nous le connaissons encore aujourd’hui, c’est parce que certains ont choisi de l’écrire, de le transmettre et de ne pas laisser sa voix s’éteindre.
💡 Fun fact : Le célèbre discours « Ain’t I a Woman? » a été retranscrit plusieurs fois, et la version la plus connue est une réécriture de Frances Dana Gage en 1863, qui aurait ajouté un accent du Sud à ses paroles. Cependant, Sojourner Truth ayant grandi dans l’État de New York et parlant néerlandais dans son enfance, elle n’avait probablement pas cet accent. Cela montre comment l’histoire peut parfois être remodelée par les témoins et écrivains de l’époque !
La version originale, publiée en 1851 par Marius Robinson dans The Anti-Slavery Bugle, est plus sobre et fidèle aux paroles de Sojourner. Elle est dépouillée des répétitions dramatiques et des stéréotypes linguistiques, offrant une vision plus authentique de son message. L’Histoire, parfois, déforme la vérité pour servir un récit.
Olive Gilbert : l’amie qui sauva son histoire
Sojourner Truth ne sait ni lire ni écrire. Son histoire aurait pu disparaître avec elle, reléguée au silence comme tant d’autres récits d’esclaves affranchis. Mais une femme blanche, abolitionniste et amie dévouée, décide de devenir sa plume.
Olive Gilbert l’écoute, note chacune de ses paroles, transcrit les souvenirs qu’elle lui confie avec une précision bouleversante. En 1850, elle publie « The Narrative of Sojourner Truth: A Northern Slave ».
L’autobiographie dictée par Sojourner et écrite par son amie Olive.
Grâce à Olive, les mots de Sojourner sont devienus immortels. Grâce à elle, nous pouvons encore entendre aujourd’hui cette voix, qui refusa de se taire et qui changea l’histoire.
L’héritage d’une femme, l’écho d’un
engagement pour la vérité.
Sojourner Truth décède en 1883, mais son héritage demeure vivant. Sans sa voix, le combat pour l’égalité n’aurait pas eu la même force. Sans la main d’Olive Gilbert, sa voix aurait pu s’éteindre.
Son histoire nous enseigne aussi autre chose.
Aujourd’hui encore, des militantes, des écrivains, des artistes s’inspirent de cette femme qui osa parler alors que tout, autour d’elle, tentait de la réduire au silence. Elle a ouvert la voie aux abolitionnistes, aux suffragettes, aux militantes qui, après elle, ont continué et continueront encore à briser les chaînes et les silences.
L’histoire est remplie de Sojourner Truth oubliées, de vies d’exception que personne n’a pris le soin d’écrire ou de raconter. C’est pourquoi nous avons besoin de gens comme Olive Gilbert, de celles et ceux qui, par un simple geste – écouter, transmettre – sauvent des voix de l’oubli et changent aussi l’Histoire… pour une personne, une famille, un quartier, une ville, un pays, ou peut-être même le monde entier.
Sojourner Truth a défié son destin. Olive Gilbert l’a inscrit dans le nôtre. Il ne tient qu’à nous d’écouter et de porter ces voix, car l’Histoire n’est jamais figée.
Et toi, qui choisirais-tu d’aider à transcrire et à enregistrer la sienne ?
Pour aller plus loin : lectures et ressources
Pour approfondir ta connaissance de Sojourner Truth et de son influence sur les mouvements pour les droits civiques et des femmes.
📖 « The Narrative of Sojourner Truth » (1850) – Son autobiographie dictée à Olive Gilbert. Disponible sur le projet Gutenberg.
🎥 PBS – « Sojourner Truth: Ain’t I a Woman? » Disponible sur PBS.
📖 « La Vérité en marche : Vie de Sojourner Truth » – Biographie rédigée par Nell Irvin Painter.
- Résumé : Cette biographie retrace le parcours exceptionnel de Sojourner Truth, de sa naissance en esclavage à son rôle majeur dans les mouvements abolitionniste et féministe aux États-Unis.
Article Wikipédia en français :
- Résumé : Cet article détaillé offre une vue d’ensemble de la vie, des accomplissements et de l’héritage de Sojourner Truth.
- Lien : https://fr.wikipedia.org/wiki/Sojourner_Truth
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